Dans un article précédent, j’évoquais mon ami imaginaire d’enfance, Sage-Barbe. Je vais aujourd’hui parler d’une créature qui m’a terrifié à l’adolescence, et qui est revenue vingt ans plus tard hanter mon imaginaire d’adulte : la Bête.
Cette créature monstrueuse ne m’apparaît presque jamais de façon frontale : elle évolue à la périphérie de mon regard, dans les zones aveugles, je la sens derrière mon épaule, je l’entends gronder dans l’ombre. J’en ai pourtant une représentation visuelle relativement claire, qui s’apparente à ce dessin que j’ai fait d’elle en juillet 2020 :
Je me suis demandé comment cette image s’était formée en moi. Pourquoi la Bête est-elle violette ? D’où lui vient cette forme ? Pourquoi, parmi la multitude d’aspects que mon imaginaire pouvait choisir pour incarner ce sentiment de dévoration imminente, c’est celui-ci qui a été élu ?
La première influence dont je retrouve trace dans ma mémoire est un monstre d’un jeu vidéo auquel je jouais enfant. Je me souviens avoir passé des heures à essayer de le vaincre, sans jamais pouvoir le blesser. J’assistais systématiquement à la destruction de mon « héros » sous ses crocs monstrueux. Le voici :
Plus tard, j’ai lu un livre de Marie-Louise Von Franz, je crois que c’était « L’ombre et le mal dans les contes de fées ». C’est très flou dans ma mémoire, mais il me semble qu’il y avait un passage où elle décrivait un monstre chinois et je crois qu’elle comparait sa gueule à un bol débordant de sang frais. Cette image m’a tout de suite évoqué ma Bête, et elle s’est amalgamée à la représentation que je m’en faisais, elle est venue l’enrichir.
Ainsi, la Bête évolue au fil des années, mais tout se passe comme si les nouvelles versions remplaçaient les précédentes. J’ai l’illusion qu’elle est toujours la même, bien que sa forme se modifie. Peut-être parce que ces formes ne sont que des vêtements qui tentent d’habiller une même puissance, une même intentionnalité tournée vers la dévoration. En général, les monstres qui prêtent une dent ou une griffe à ma Bête ont tous trois points communs : ce sont des prédateurs, ils se tiennent au seuil d’un monde obscur (monde sauvage, monde chtonien, monde des morts…), et ils ne sont pas doués de parole.
Dans le spectacle SajBarb, je raconte comment j’ai combattu la Bête dans le salon de ma maison. Au terme de ce combat, elle s’est dédoublée et est devenue une sorte de singe-oiseau-origami-aveugle (Je n’ai pas développé ça dans le spectacle pour des raisons de concision du récit).
Depuis, la Bête et cet origami sont deux créatures qui peuvent coexister, être en relation, mais qui profondément ne forment qu’un.
L’origami a tout de même une propriété que la Bête n’a pas à son état natif : il peut parler, et a même un verbe puissant et précis. Il est en quelque sorte l’interprète de la Bête.
Après pas mal de péripéties, dont une partie est développée dans le spectacle SajBarb, la Bête est morte dans mes bras, toute desséchée, et j’étais plein d’empathie pour ce monstre qui n’avait plus de force.
Elle est désormais une grande figure à cinq visages, qu’elle peut revêtir tour à tour ou simultanément. Ça me fait penser aux dessins animés de Miyazaki, où les personnages terrifiants finissent souvent par devenir des alliés ou des êtres inoffensifs dont l’héroïne prend soin. Comme si tout se métamorphosait sans cesse.
Bon, si vous n’avez pas vu mon spectacle, tout ça doit vous sembler décousu et délirant !
Je vous en dirai plus… dans un prochain article
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